Texte : Antoine Leclerc-Mougne

Texte : Antoine Leclerc-Mougne

Plasticien, illustrateur, designer, brodeur : James T. Merry est probablement l’un des artistes les plus singuliers et prolifiques de sa génération. Alors qu’il vient de collaborer avec la créatrice Iris van Herpen, retour sur le parcours et l’univers d’un artiste iconoclaste mêlant technologie et artisanat.

Sans le savoir, vous avez probablement déjà été confronté au travail de James T. Merry. Pas plus tard que cette saison, l’artiste a conçu toute la joaillerie de la dernière collection couture automne-hiver 2021 d’Iris van Herpen. Dans le défilé vidéo présenté par la marque, au-delà des robes grandioses et sculpturales de la créatrice, on peut notamment observer des masques bijoux étranges et autres prothèses faciales hypnotisantes sur les visages des mannequins. Le même genre de création qu’avait d’ailleurs portée l’actrice Tilda Swinton il y a un an sur le red carpet de la Mostra de Venise. Grâce à James T. Merry qui avait réalisé spécialement l’accessoire protecteur pour l’occasion (gestes barrières, tu connais), l’actrice est devenue virale malgré elle ; et a fini d’introniser James dans le panthéon de la pop culture, alors qu’a priori rien ne destinait ce dernier à laisser son empreinte dans l’univers de la mode et de l’entertainment.

Originaire d’une campagne du Gloucestershire (un trou paumé au sud-ouest de l’Angleterre) où il a été élevé par un père pasteur et une mère artiste, James T. Merry a fait des études très sérieuses de Grec Ancien au sein de l’excellente Université d’Oxford avant de finalement puis il travailler pour l’artiste contemporain Damien Hirst. Une vie studieuse toute tracée mais apparemment trop banal pour James, puisqu’il décide de changer complètement de vie sur un coup de tête. Yolo comme on dit. Un jour, un de ses proches amis l’informe que la chanteuse Islandaise Björk cherche un nouvel assistant pour développer son prochain projet artistique. L’envie de changement radical et la tête remplie d’idées novatrices et poétiques non-exploitées, James saute sur l’occasion et se lance. Après quelques emails échangés, des discussions et un entretien à New York où il rencontre la musicienne, il est embauché.

Iris van Herpen FW21
Björk

“Après l’entretien, je suis retourné à Londres. En deux semaines, j’ai tout plaqué et j’ai déménagé à New York pour travailler avec Björk à temps plein. La rencontrer et travailler avec elle a définitivement été la meilleure chose qui me soit arrivée, à bien des égards” déclare James. Tu m’étonnes. Onze ans plus tard, l’artiste travaille toujours avec la chanteuse et officie à ses côtés en tant que co-directeur artistique de tous ses projets (promotions et univers d’exploitation des albums de musique, scénographie des concerts, conception des vidéo clips, confection de masques et de tenues de scène etc). Une collaboration qui a été progressive et naturelle selon les dires du créateur : “J’ai commencé à travailler avec Björk en tant qu’assistant, puis au fil des ans, mon rôle a évolué pour devenir co-directeur artistique sur les visuels. Les années ont passé sans jamais se ressembler, ce qui explique certainement pourquoi c’est si agréable”.

Tilda Swinton pour Vogue Ukraine

C’est justement dans ce contexte riche et foisonnant, voyageant de l’Islande à New York et en suivant la chanteuse sur toutes ses tournées mondiales, que James s’est nourri et s’est lui aussi affirmé en tant qu’artiste. Un jour lorsqu’il était coincé à New-York et que la nature islandaise lui manquait, il s’est mis à broder des motifs végétaux sur des t-shirts et sweat-shirts de sport donnant ainsi naissance à des créations au charme suranné. “J’ai simplement pris une aiguille et du fil et j’ai vu où cela me menait”, explique James. Je pense que je possède un flux inné, quelque chose qui coule dans les veines de mon bras. C’est comme si je m’imprégnais de la nature, je l’observe tout autour de moi, puis mon interprétation se traduit au bout de mes doigts”. Le résultat ? Des vêtements à l’allure poétique où les logos des marques comme Nike, Puma ou adidas, symboles ultimes de la culture sportswear, prennent une nouvelle vie en se retrouvant associés à des éléments naturels comme des fleurs, des plantes ou des animaux. Un contraste fort qui est devenu la base de son identité visuelle et de son univers artistique dans lequel il fait cohabiter des éléments contraires : l’animal versus l’humain, l’urbain versus le rural mais aussi le travail traditionnel manuel face aux nouvelles technologies.

James T. Merry

En quelques années, James a développé et modernisé sa broderie en associant sa passion pour la nature et la technique du simple fil sur tissu à des techniques d’impressions 3D et des matériaux inédits comme du latex, lui permettant ainsi de commencer à créer ses masques, prothèses faciales et autres pièces 3D uniques en leur genre. Des créations expérimentales que Bjork a d’ailleurs porté pour les visuels de ses derniers albums “Vulnicura” et “Utopia” et de leur tournée respective.

Toujours un peu plus loin dans l’expérimentation, James a créé il y un an un filtre 3D pour Instagram reprenant les éléments clés de son univers lui permettant ainsi de faire porter ses créations à n’importe quelle personne. Car pour James ce qui compte avant tout, c’est bien de démocratiser ses créations au plus grand nombre, le tout en respectant ses convictions et ses valeurs : “les choses physiques que je fabrique sont toutes faites à la main, par moi-même et sans assistant. Elles prennent donc beaucoup de temps et j’en produis une quantité relativement faible. J’ai toujours résisté à l’envie de produire en masse n’importe quoi, principalement d’un point de vue écologique et parce que j’apprécie l’artisanat qui entre dans un objet sur mesure”.

Le filtre Instagram de James T. Merry