K.L. Je ne pourrais pas équiper une pièce comme ça chez moi, où je flotterais dans l’air ? J’aime assez. J’aime bien l’idée. C’est dingue. J’ai encore une petite question : du point de vue de la nourriture et des repas, savez-vous lorsque c’est le matin, le soir ou la nuit ? Vous tournez tellement vite autour de la Terre qu’on doit perdre la notion !
T.P. Oui, on perd la notion du temps. On recrée une journée à l’intérieur de l’ISS avec les lumières. On les allume le matin, à six heures quand on se lève. On les éteint le soir vers 23 heures. Et on a même des lumières qui changent un peu d’intensité. Elles sont plus brillantes le matin, pour nous réveiller. Moins intenses le soir, au moment de s’endormir. On essaie de recréer une vie normale, au final. C’est ce que fait l’être humain. Il est très fort pour s’adapter. À travers le cycle des repas, du sommeil… Même si on a 16 levers et couchers de soleil par jour, on ne vit qu’une journée par 24 heures, et heureusement ! Sinon ce serait éreintant.
K.L. Vous faites du sport ? Comment ça marche pour la musculation ? Et puis ce qui m’intéresse aussi, c’est ce qu’on vous donne à manger. Cela nous intrigue, ici, sur la Terre.
T.P. Ce sont de très bonnes questions ! Nous faisons deux heures et demie de sport par jour. Sans cela, comme vous l’avez remarqué, on perdrait de la masse musculaire et l’on reviendrait sur Terre tout mou, comme un légume, on perdrait de la masse osseuse. Donc tous les jours, on court sur un tapis roulant auquel on est attaché avec des espèces de bretelles élastiques pour nous retenir, sinon on s’envolerait. Et puis, on a un vélo d’appartement, une machine de musculation avec des cylindres pneumatiques. C’est le prix à payer pour rester en forme et revenir sur Terre en bonne santé. Quant à ce qu’on mange, on a beaucoup de nourriture américaine ou russe et j’ai emmené dans mes bagages de la nourriture française. Alain Ducasse a cuisiné pour moi et les astronautes. Il le fait depuis longtemps. Thierry Marx m’a également fait quelques plats qu’on a mis en boîte. On voulait apporter une touche française culinaire, et de temps en temps je partage ça avec mes coéquipiers pour les grandes occasions comme Noël ou mon anniversaire. Et le vendredi soir, quand on a bien travaillé, j’invite tout le monde autour d’un bon repas français.
M. Thomas, parmi vos travaux, vous avez réalisé une œuvre d’art. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
T.P. L’idée, c’est que l’exploration spatiale est une chose très scientifique, très technique. On y envoie des ingénieurs, des pilotes, des militaires, des pilotes d’essai. Et j’ai pensé que pour se faire l’ambassadeur (même si c’est un bien grand mot) de la société, de l’Humanité dans l’espace (surtout le jour où l’on y ira très, très, loin), il fallait aussi représenter son aspect artistique, littéraire, créatif, contemplatif, parce que la plupart des gens ont ça en eux – et nous, on l’a aussi. Donc on a fait une petite place à une œuvre d’art soumise à beaucoup de contraintes. Elle a été créée à base de papier, parce qu’on ne peut pas transporter n’importe quoi dans l’espace. On l’a réalisée avec l’artiste Eduardo Kac. C’est une “performance” spatiale. Je trouvais ça important d’entrouvrir la porte à tout un pan des activités humaines. L’espace n’est pas que pour les scientifiques, ça fait rêver, c’est pour tout le monde.