Que vous ayez planifié d’aller squatter les calanques de Marseille, un road trip en Colombie ou tout simplement de profiter d’un Paris vidé de ses shibas inu et de ses cyclistes fous, voilà 5 bons bouquins pour l’été avec lesquels on se couchera tous.tes un peu moins bêtes.

Le goût du moche, Alice Pfeiffer, Editions Flammarion, 2021.

Diplômée en Gender Studies à la London School of Economics, la journaliste Alice Pfeiffer écrit depuis plus de 10 ans pour i-D magazine, The Guardian ou encore Les Inrocks des papiers dans lesquels elle démantèle les vagues de tendances et les codes sociaux à travers les vêtements. Dans ce dernier essai, elle décrypte le goût du moche et ses déclinaisons, le kitsch, le vulgaire, le ringard, etc. “J’adore les choses affreuses” affirme-t-elle fièrement. On lui fait confiance les yeux fermés sur le sujet. Pulls de noël à tête de cerf, nains de jardins flippants dans l’art contemporain, bibelots en forme de lunettes de WC, l’autrice démontre comment le moche se construit en réaction à ce qui est considéré comme beau pour mieux déjouer les normes dominantes. Au fil des pages, on en vient à de plus en plus aimer le moche et à lui trouver un rôle essentiel, quasi politique. “Si on arrive à le faire d’une manière pas seulement consommatoire ça peut être un outil de rébellion puissant.” écrit Alice Pfeiffer. Drôle et rapide à lire, Le goût du moche parviendra peut-être même à vous refaire porter ce fameux slip de bain pastèque infâme cet été.

Comment l’empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome. Kyle Harper, Éditions La Découverte, 2019.

On pensait que c’était un coup des Germains et bien non, en fait ce serait des germes. C’est en tout cas l’hypothèse de Kyle Harper, professeur d’histoire américain et spécialiste de l’Antiquité tardive qui met en cause des pandémies mortelles et des changements climatiques dans la chute de l’Empire Romain. Rome n’aurait été victime ni de sa décadence, ni de ses vices, ni de son foutoir politique et militaire. S’appuyant sur des déchiffrements de calottes glaciaires et des analyses d’ADN d’ossements humains, Kyle Harper désigne comme potentiels responsables les égouts romains, les bains et les thermes, infestés de rats et de puces auxquels se serait même ajouté un « petit âge glaciaire”, à partir des années 450, qui aurait amoindri les récoltes et transformé les échanges. Une autre lecture de l’histoire au prisme de l’écologie, de la médecine et de l’hygiène qui mérite largement notre attention et permet de regarder notre époque avec un autre œil. Est-ce que les Romains avaient un pass sanitaire ? ça, l’auteur ne le précise pas.

The Tragedy of Heterosexuality, Jane Ward, Editions New York University Press, 2021.

S’il y en avait un à lire en priorité, ce serait surement celui-ci tant le problème qu’il soulève est devenu écrasant dans nos sociétés : la violence des rapports hétéros-cis. Malheureusement, il n’a pas encore été traduit en français. Pour les moins à l’aise d’entre nous avec la langue de Shakespeare, il faudra s’accrocher un peu et ralentir sur le rosé pendant la lecture. Jane Ward est anthropologue, écrivaine et professeure à l’université de California Riverside où elle donne des cours sur le féminisme, l’héterosexualité et la culture queer. Dans cet essai, déjà primé aux US, l’autrice analyse l’état de crise, post #MeToo, dans lequel se trouve les rapports hommes-femmes cis. Alors que le nombre d’agressions sexuelles, de violences conjugales ne fait qu’augmenter, des millions de dollars sont dépensés chaque année dans des thérapies par des hommes et femmes incapables de se comprendre. Comment faire coexister le respect mutuel, l’intimité et l’épanouissement sexuel dans un système patriarcal-capitaliste qui ne fait que creuser les inégalités et faire perdurer des rapports de violence ? C’est la question majeure que pose ce livre et auquelle l’auteure propose des réponses, notamment en encourageant les hommes et femmes hétéros-cis à s’inspirer davantage de la culture queer, en leur rappelant “the human capacity to desire, fuck, and show respect at the same time.”

Home Body, Rupi Kaur, Editions Nil, 2021.

Poétesse, écrivaine féministe et illustratrice Rupi Kaur est née au Pendjab en Inde il y a 29 ans. Ses deux derniers recueils de poésie, Lait et Miel et Le Soleil et Ses Fleurs figurent dans la liste des best-sellers du New York Times et ont été traduits dans plus de 40 langues. Ce troisième opus, Home Body, mêle, comme les deux précédents, des courts textes en prose, empruntant au journal comme aux maximes de sagesse indienne, à des dessins aux traits fins et racés. Divisé en quatre parties – esprit, cœur, repos, réveil – ce recueil invite à un voyage intime à travers le passé et le présent pour mieux renaître. Après avoir parlé de l’expérience de la violence et des abus sexuels dans Lait et Miel, Rupi Kaur célèbre ici l’acceptation de soi, le corps et la féminité dans un message d’amour et d’espoir, dont on a bien besoin en ce moment.

Soleil à coudre, Jean d’Amérique, Editions Actes Sud, 2021.

Parce que cette summer reading list n’en serait pas une sans un roman et parce que “Soleil à coudre” est le tout premier roman (très réussi) de l’Haïtien Jean d’Amérique, 26 ans seulement. Il raconte l’histoire de Tête Fêlée, petite fille haïtienne qui grandit dans un bidonville entre une mère qui se prostitue et un beau-père gangster qui lui assène : “Tu finiras seule dans la grande nuit.” Mais Tête Fêlée aime Silence, une fille de son lycée, et cet amour emporte tout. Une plongée dans la misère et la violence des bidonvilles gonflée de poésie, de désir et de sang au travers le regard naïf d’une enfant qui rêve d’évasion et reste sans voix devant le comportement des adultes, leurs violences, leurs faiblesses et leurs addictions. Le tableau est sombre mais la plume de Jean d’Amérique est si belle que “Soleil à coudre” se lit cul sec.