Derrière les masques, les sourires. Non, la pandémie mondiale et les nouveaux cas détectés à Shanghai n’auront pas eu raison de sa semaine de l’art. Comme chaque année depuis 2013, Art 021 et West Bund Art & Design, les deux grandes foires dédiées à l’art contemporain et leur centaine d’événements satellites, ont faire battre le pouls de la mégalopole à un rythme effréné. Expositions, installations, performances, projets spéciaux… l’art sous toutes ses formes a investi Shanghai, depuis ses institutions mythiques jusqu’à ses adresses les plus insolites. Une édition spéciale… et particulièrement frénétique.

WEST BUND ART & DESIGN, AU CŒUR DU NOUVEAU QUARTIER ARTY

“C’est l’une de nos meilleures années !” Aussi incroyable que cela puisse paraître, le verdict est unanime de la part des exposants de la foire du West Bund. L’événement, qui se déroule dans un ancien hangar à avions réhabilité sur les berges du fleuve, a lancé officiellement le début de la semaine de l’art, tambour battant. Dès les premières heures, un flot de visiteurs déterminés a envahi le quartier, que les longues files d’attente n’ont pas découragé. “Il y a une super énergie, et les gens ont envie d’acheter…” se réjouit Enrico, fondateur de la galerie Capsule – pépinière d’artistes émergents (Alessandro Toeldi, Gao Yuan). Une foire réduite de moitié (avec une cinquantaine d’exposants), certes, mais qui a su se réinventer avec des projets spéciaux – dont la première exposition de Judy Chicago en Chine “Call and Response”, en collaboration avec Stanley Whitney et organisée par la nouvelle Fondation Longlati.

CAPSULE GALLERY

L’événement a confirmé sa qualité à travers un soutien à des artistes audacieux – Pascale Martine Tayou chez Continua, Tess Dumon chez Dumonteil – ainsi que sa prédilection pour les solos shows (Klara Kristalova chez Perrotin ou Liang Shaoji chez ShanghArt). Cette dernière offrait également dans son espace, à deux pas de la halle, un solo à l’artiste Yang Fudong – une enquête sur “le paysage spirituel des gens” menée à travers peintures, photographies et installations vidéo – tandis que Gao Weigang transformait l’un des réservoirs du Tank Museum en une œuvre totale, pour y faire résonner nos pas et notre imaginaire… “Turn Around”.

CENTRE POMPIDOU × WEST BUND MUSEUM PROJECT, MERVEILLEUX DESIGN…

En face de la foire, l’antenne provisoire du Centre Pompidou inaugurait sa nouvelle exposition, un an après son ouverture, en célébrant le design à travers son lien avec la nature. “Design and The Wondrous”, un dialogue entre des œuvres des collections du Centre Pompidou (Marcel Wanders, Andrea Branzi) et des designers chinois (Shao Fan, Lin Fanglu), propose une vision panoramique du design et de son rapport au végétal et à l’ornement au fil des siècles. La sélection des pièces, triées sur le volet, explore la dimension métamorphique de la parure, dans laquelle l’objet ne cesse de se transformer à travers une dynamique de formes évolutives. Mis en scène autour d’un “Cabinet de Curiosités”, le parcours est conçu sous formes d’alcôves : on se laisse guider au rythme des “Arabesques”, des “Fractales”, pour accéder finalement au “Merveilleux” …

CENTRE POMPIDOU

ZHANG ENLI, LA RÉTROSPECTIVE HISTORIQUE À LA POWER STATION OF ART

Toujours le long du fleuve Huangpu, lorsque l’on remonte vers la ville, l’iconique Power Station of Art – indentifiable à sa haute cheminée – accueillait cette année une rétrospective majeure. La Biennale de Shanghai ayant été repoussée, situation Covid oblige, c’est le peintre de renom Zhang Enli qui y a été mis à l’honneur. Plus d’une centaine de pièces, permettant de (re)découvrir les trente ans de carrière de l’artiste chinois, de ses premières œuvres figuratives et sa passion pour les scènes de vie populaire, à ses peintures abstraites, via lesquelles il explore le subconscient de l’être humain.

ART 021, LA FOIRE ASIATIQUE ET BRANCHÉE

Au lendemain de l’ouverture de West Bund Art & Design, deuxième coup d’envoi de la semaine de l’art avec le lancement en preview de Art 021, au cœur de la ville. Dans le mythique Shanghai Exhibition Center, la foire du trio shanghaien Bao Yifeng, Kylie Ying et David Chau a battu des records d’affluence… et de ventes. Regroupant 114 galeries – dont 80% ayant un espace en Chine – des plus grands noms de l’art (Gagosian, David Zwirner) aux plus modestes, elle confirme sa volonté de privilégier la scène locale… et sa diversité. A retenir : le Ren Space qui accueillait le percutant solo de l’artiste Li Binyuan, et le stand de la galerie shanghaienne Bank, conçu à l’image d’un décor carnavalesque multicolore, complété par des meubles originaux de Jean Prouvé. L’absence de la plupart des exposants étrangers a par ailleurs profité à des galeries plus discrètes, ainsi qu’à des associations et divers pop-ups, garantissant une ambiance effervescente.

HDM GALLERY

DÈS LA NUIT TOMBÉE, VERNISSAGES ET FESTIVITÉS DANS LES LIEUX CULTURELS DE LA VILLE

Depuis M50, premier bastion de l’art contemporain, jusque dans le quartier historique du Bund, l’ensemble des galeries et lieux dédiés à l’art étaient en fête. Des expositions insolites, Tabor Robak et son garage digital chez Edward Ressle, nouveau venu dans la même rue que Magda Danysz, à des valeurs sures – telles que Laurent Grasso chez Perrotin ou Julian Opie chez Lisson, dont la terrasse investie par l’artiste a été déclarée la plus “in” du moment. La maison historique Rong Zhai Prada, bijou de l’Art Nouveau, lançait l’exposition immersive “Rubber Pencil Devil”, une œuvre vidéo conçue par Alex da Corte, projetée grâce à 19 cubes multicolores disséminés dans ses étages. Une déambulation déroutante, à travers des images saturées et surdimensionnées, inspirées de la culture télévisuelle du 20e siècle, pour commencer une soirée dans un temps suspendu… et apprécier la rumeur de la ville dans la douceur de l’été indien, sur l’un des prestigieux balcons de la villa. C’est ensuite au Edge Ball, dans les murs du futur UCCA de la ville que se prolongeait la nuit, une fête visant à recruter de nouveaux soutiens et organisée sur le toit du bâtiment partiellement fini. Situé au nord de la Suzhou Creek, près du musée OCAT de Shanghai, UCCA Edge devrait ouvrir ses portes début 2021.

GALERIE PERROTIN

SHANGHAI CONFIDENTIELLE : DEUX LIEUX, DEUX VISAGES DE LA VILLE

Loin de la frénésie et du clinquant, quelques lieux dérobés se sont pour l’occasion métamorphosé en espaces d’exposition. L’artiste shanghaienne Yu Ji, représentée par la galerie Edouard Malingue, a choisi l’appartement délaissé d’une lane typique du quartier de Jing’An pour y présenter son projet “Forager”, une enquête spécifique au lieu, liée à son histoire et les corps qui l’ont traversé… “Les rayons du soleil ont percé les fenêtres en verre poussiéreuses de la pièce, les sols sont devenus étranges, les murs, fragmentés – le passé restant participe au présent”…

A l’inverse, c’est dans un loft d’une nouvelle résidence de luxe de la Wulumuqi Road, avec vue imprenable sur le quartier, que “Shanghai Salon”, une sélection de la Bao Collection – des œuvres de Deng Yuejun, Feng Chen, Zhang Ding entre autres – a été mis en scène. Le voyage de Yi Lian, dans une bulle flottant sur la mer, et retracé sur la terrasse du lieu, ouvrait indéniablement de nouvelles perspectives… Une exposition sous le signe de la poésie et de la contemplation, d’autant plus appréciées dans l’intimité d’un chez-soi.

YU JI (EDOUARD MALINGUE GALLERY)

MÉDITATION À LA FOSUN FOUNDATION ET AU YUZ MUSEUM

D’ordinaire axée sur l’art contemporain et international de renom, c’est exceptionnellement un humble retour aux sources qu’a privilégié la Fosun Foundation pour célébrer cette semaine de l’art. En collaboration avec l’école de philosophie de la Fudan University, elle a transformé ses espaces d’exposition en une immersion dans l’histoire de la calligraphie, en reproduisant notamment des studios de cet art millénaire. Plusieurs œuvres de l’artiste Pan Gonkai complétaient la plongée dans ce monde fascinant, créant un lien surprenant entre art traditionnel et contemporain.

Le Yuz Museum s’est quant à lui transformé en “Demeure des Illusions”, en mettant en scène une série de rares tirages photographiques de l’artiste Hu Chongxian, accompagnée de la calligraphie de Zhang Daqian, maître de la peinture traditionnelle chinoise. “The Abode of Illusions : The Garden of Zhang Daqian” se réfère au nom qu’a donné le maître à son aménagement paysager, qu’il a minutieusement conçu à Taipei, et dont l’importance donné aux détails de chaque arbre et buisson “incarne la quintessence de son enthousiasme pour la nature et la recherche de la perfection esthétique”. Les photographies de fleurs de prunier et de lotus prises par Hu Chongxian à la Demeure des Illusions a signé à l’époque une collaboration proposant la photographie comme nouveau langage visuel dans l’expression traditionnelle chinoise, incluant celle-ci à la culture moderne. A l’écart du monde, on se retrouve plongé dans la spiritualité du monde des Lettrés : “Leur compréhension de la vie quotidienne, leur souci des autres et leur interprétation de la beauté évoquent une nouvelle inspiration dans le présent.” À méditer, donc.

FOSUN FOUNDATION